• Les Moissons du ciel de Terrence Malick (9/10/2019, 20h30)

    Comme d’habitude, l’entrée coûte 4 euros, 3 pour les membres du COF et vous avez la possibilité d’acheter des cartes de 10 places pour respectivement 30 et 20 euros. L’entrée est gratuite pour les étudiant.e.s invité.e.s.

    Et pour résumer :

    Rendez-vous le mardi 09 octobre 2019, 20h30
    en salle Dussane, au 45 rue d’Ulm
    pour voir et revoir
    Les Moissons du ciel
    de Terrence Malick

    Proposition d’analyse

    En 1916, Bill (Richard Gere) et Abby (Brooke Adams), deux amants vagabonds, s’enfuient au Texas pour faire les moissons d’un riche fermier (Sam Shepard). Lorsque Bill apprend que celui-ci est atteint d’une maladie mortelle, il décide de sauter sur l’occasion et pousse Abby à séduire ce dernier pour prendre possession de sa fortune. Mais des soupçons émergent et l’étau se resserre sur Bill, alors même que la nature se déchaîne…

    Tourné en 1976 et sorti au cinéma deux ans plus tard, Les Moissons du ciel est le deuxième film de Terrence Malick. C’est au prix d’un tournage épuisant et de deux années de montage intensives que le long-métrage remporte le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes de 1979, ainsi que l’Oscar de la meilleure photographie. Une récompense amplement méritée pour le réalisateur et pour le célèbre directeur de la photographie Néstor Almendros, qui était en train de perdre la vue au moment du tournage. Almendros et son acolyte Haskell Wexler, qui prit le relais lorsque Almendros fut contraint de repartir en France tourner L’Homme qui aimait les femmes de Truffaut, prirent le parti de filmer principalement durant l’heure dorée, lorsque le soleil darde ses derniers rayons sur les champs. Avançant parfois au rythme d’une vingtaine de minutes de tournage par jour, Malick est parvenu à capturer une lumière naturelle, éphémère mais intense, qui illumine tous ses plans. Ceux-ci sont conçus comme autant de tableaux vivants dans lesquels se promènent librement les personnages. La référence à la peinture est rendue explicite : la Maison au bord de la voie ferrée de Hopper a été reconstruite dans son entièreté pour le tournage du film, devenant la demeure victorienne du fermier ; elle est admirée de loin par Bill et Abby qui fendent les immenses champs de blé américains peints par Andrew Wyeth à la fin des années 1940.

    Cette dimension picturale donne la singulière impression que le film se situe aux frontières de l’espace et du temps. Le spectateur peut ainsi contempler des instants suspendus, des moments de rupture que Malick réussit à figer pour les donner à voir avant qu’ils ne s’échappent. Il n’est donc pas anodin que l’action se situe dans une période charnière, un an avant le début de la Première Guerre mondiale pour les États-Unis, toujours divisés entre l’image d’un pays agraire et vierge et celle d’une puissance mondiale industrielle. À la frontière de l’Amérique sauvage, l’amour et la haine, le jour et la nuit, les hommes et la nature s’affrontent et s’entrechoquent. Pour les protagonistes, il s’agit bien de remonter le temps en même temps qu’ils rebroussent chemin du nord au sud, allant à contre-courant de la ruée vers les villes industrialisées du nord-est. Le Texas Panhandle apparaît alors comme un Éden rêvé où pourraient cohabiter hommes et nature et où l’amour serait possible. Mais les dynamiques d’industrialisation et la violence des rapports de classe contaminent ce paradis perdu depuis longtemps déjà. Pas d’échappatoire face aux forces brutes de la nature qui finissent par ressurgir. Une pluie de sauterelles s’abat sur les champs, un incendie dévastateur ravage les propriétés du fermier, et l’idylle pastorale vire au cauchemar.

    Le film est un vrai point de rupture pour Terrence Malick. Déçu par les premiers rushes, il décide de se détourner subitement des méthodes de tournage traditionnelles, abandonne son scénario et se met à filmer sans but précis, se laissant guider par son imagination et son intuition. Il explique avoir voulu « prendre le scénario par un autre bout, dans le style de Tolstoï plutôt que de Dostoïevski, jouer sur des plans larges au lieu d’utiliser la profondeur de champ, et tourner des kilomètres de pellicule avec l’espoir de résoudre les problèmes dans la salle de montage » — au grand dam du producteur Bert Schneider et de Richard Gere ! Mais c’est un film maîtrisé en tous points que Malick propose au visionnage, où surnagent une multitude d’images poignantes qui hantent l’esprit du spectateur : une rivière étincelante, une maison baignée dans la lumière du soleil couchant, ou encore un train qui traverse l’immensité du territoire américain… Toutes ces scènes disparates s’assemblent et défilent au rythme de la narration émouvante de Linda Manz, qui improvisa au montage la voix-off. Film onirique et intimiste, Les Moissons du ciel est à voir, écouter et lire comme un poème visuel et musical, où les images se font écho et s’entremêlent, baignées dans la lumière du soleil couchant.

    Capucine