• Barbara, de Christian Petzold (mardi 20 mars 2018, 20h30)

    Comme d’habitude, l’entrée coûte 4 euros, 3 pour les membres du COF et vous avez la possibilité d’acheter des cartes de 10 places pour respectivement 30 et 20 euros. L’entrée est gratuite pour les étudiant.e.s invité.e.s.

    Et pour résumer :

    Rendez-vous le mardi 20 mars 2018, 20h30
    en salle Dussane, au 45 rue d’Ulm
    pour voir et revoir
    Barbara
    de Christian Petzold

    Proposition d’analyse

    Lorsque Barbara sort dans les salles en 2012, l’ex-RDA voit depuis quelques années parmi sa population l’émergence de l’Ostalgie, la nostalgie de l’Est, selon laquelle la vie était plus douce lorsque l’Allemagne était encore séparée en deux États. L’Ostalgie est le fruit des souvenirs de jeunesse qui sont toujours plus roses que la réalité, ainsi que des difficultés économiques que subit l’ancienne Allemagne de l’Est depuis la réunification en 1990, peu préparée au passage brusque d’une économie planifiée à une économie de marché capitaliste mondialisée. Surfant sur cette vague, le film Good Bye Lenin ! (Wolfgang Becker, 2003) pose un regard bienveillant sur le quotidien des habitants de la RDA et occulte certains aspects négatifs du régime au pouvoir pour se focaliser sur la fierté que certains Est-Allemands pouvaient avoir à l’encontre de leur pays.

    C’est peut-être pour prendre le contre-pied de l’Ostalgie que Christian Petzold a réalisé Barbara, film centré sur un personnage que le pouvoir persécute et tente de briser, film qui rappelle ce que la RDA était : un régime dictatorial fondé sur la surveillance et la suspicion.
    Déracinée de sa vie berlinoise car suspectée de vouloir fuir le pays, Barbara Wolff, interprétée par la talentueuse Nina Hoss, est envoyée en province travailler dans un petit hôpital où tout lui est étranger. Le quotidien du service pédiatrique de cet hôpital est dépeint, et c’est au travers des jeunes patients et de leur histoire que le spectateur comprend toute l’horreur du régime, qui, par la répression de la jeunesse, violente les corps, tourmente les esprits et pousse les adolescents au suicide. Le cadre de la caméra est resserré sur le personnage de Barbara et crée une tension constante et un sentiment d’insécurité permanent. Toutes les facettes du climat de terreur instauré par les autorités sont évoquées, depuis la surveillance policière aux mutations de poste, depuis les fouilles des domiciles aux maisons de redressement pour jeunes, depuis la surveillance entre voisins à la méfiance généralisée.

    La réalité de la vie en République démocratique allemande n’est pas l’objet d’une mise en scène monumentale et n’est pas montrée aussi frontalement que dans un film tel que La vie des autres (Florian Henckel von Donnersmarck, 2006). On ne voit jamais la partie immergée de l’iceberg que constitue l’appareil répressif de la RDA, et ce n’est qu’à demi-mots que l’on est témoins de la différence de niveau de vie entre l’Est et l’Ouest, lorsque un homme au volant d’une Trabant s’émerveille devant une magnifique Mercedes à la peinture bleue éclatante.
    C’est incidemment que la situation à l’Est est portée à l’image, car elle fait partie intégrante de la vie de Barbara qui constitue le cœur du sujet du film, et c’est précisément ce qui fait la force de la dénonciation. On comprend ainsi que la violence du régime est permanente et s’effectue à tous les niveaux de la société sans échappatoire possible. Soit l’on accepte cette violence et l’on se soumet aux exigences du pouvoir, soit l’on y résiste et l’on est anéanti.

    C’est la question qui est au centre du personnage de Barbara : doit-elle accepter les humiliations qu’elle subit et se porter utile auprès des patients de l’hôpital, ou doit-elle fuir et retrouver son amant de l’autre côté du rideau de fer ? Face à ce dilemme elle trouve un interlocuteur en la personne du médecin-chef André Reiser, interprété par Ronald Zehrfeld, mais cet interlocuteur est lui aussi ambigu. Il est chargé de la surveiller et rapporte ses faits et gestes aux autorités, mais il manifeste une sympathie indéniable à l’égard de Barbara. Petzold met alors en place une véritable partie d’échecs entre les deux personnages. Chaque détail de leurs échanges ouvre un horizon qui oscille entre terrain d’entente et terrain d’affrontement, chaque détail revient à plusieurs reprises dans le cours du film au sein d’une narration soignée, et c’est sans vraiment savoir où se situer que les deux personnages construisent ainsi, petit à petit, un langage commun et se rapprochent l’un de l’autre.

    Loin de réduire le choix de partir ou de rester au choix d’un partenaire, le film met en perspective cette question parmi de nombreuses autres qui émaillent la vie d’une femme indépendante et forte. Parmi celles-ci, la question fondamentale de la dignité et de l’humanité, qui se personnifie avec deux figures antinomiques qui sont au centre des scènes les plus marquantes du film. D’un côté une adolescente, Stella, symbole de l’innocence opprimée que Barbara prend en affection et qu’elle tentera de protéger face à la Volkspolizei. De l’autre la plus abominable des ordures, Klaus Schütz, officier de la Staatssicherheit qui est chargé de surveiller Barbara, et dont l’humanité est mise en doute tout au long du film.
    Cependant, comme Petzold l’exprimera à travers le long-métrage Phoenix qu’il réalisera juste après Barbara et qui a pour sujet une autre question douloureuse de l’histoire moderne de l’Allemagne, les choses ne sont jamais totalement noires ni totalement blanches, elles sont souvent incertaines.

    Portrait magnifique d’une Allemande de l’Est déchirée entre différentes aspirations contradictoires, perdue dans la spirale d’une violence d’État qui la dépasse, immergée dans une campagne qui enveloppe le spectateur par les images et par les sons qu’elle offre, mais déterminée à vivre une vie qui serait pleinement la sienne, Barbara est un film sublime et important dans l’œuvre d’un cinéaste malheureusement trop peu connu en France.

    Raphaël