• Tabou de Miguel Gomes (mardi 05 mars 2019, 20h30)

    Comme d’habitude, l’entrée coûte 4 euros, 3 pour les membres du COF et vous avez la possibilité d’acheter des cartes de 10 places pour respectivement 30 et 20 euros. L’entrée est gratuite pour les étudiant.e.s invité.e.s.

    Et pour résumer :

    Rendez-vous le mardi 05 mars 2019, 20h30
    en salle Dussane, au 45 rue d’Ulm
    pour voir et revoir
    Tabou
    de Miguel Gomes

    Proposition d’analyse

    C’est la brousse. Sous un tronc d’arbre fléchi un explorateur regarde devant lui, perdu, la tête basse et les deux mains pendantes. Une musique de conte de fées s’échappe en arpèges. Deux indigènes en pagne transportent une malle, deux autres un cageot. L’explorateur mélancolique lève un instant l’oeil vers les deux corps noirs qui s’éloignent, et replonge dans sa rêverie. Il fuit, une voix l’annonce, le souvenir de celle qu’il a aimé. Il traine de paysage en paysage ses yeux tristes et sa barbe, de champs en ruisseaux ; ses hommes suivent ses pas, charriant tissus et bibelots le long de chemins serpentés. Vient une rivière – l’explorateur dit adieu à ses hommes, et vient y rencontrer son destin, le crocodile terré dans les eaux boueuses. Depuis, conclut la voix, “certains jurent avoir vu cette apparition fantomatique : un crocodile mélancolique et une dame des temps passés, paire inséparable, unie par un mystérieux pacte, que la mort jamais n’a brisé.

    Du point de vue narratif, le prologue de Tabou vit séparé du reste du film, comme une petite nouvelle placée devant un roman, ou, comparaison peut être plus exacte, comme une ouverture d’opéra, où sans parole se mélangent les thèmes à venir, à peine esquissés. Si aucun personnage n’y est introduit, on y découvre quelques symboles, des décors, et un état d’esprit. Une fois le rideau levé, et l’intrigue lancée, nous ne sommes pas tout à fait perdus, bien que nous quittons pour un temps le continent africain et les contes pour le Portugal contemporain. Contrairement à ce que le titre, la filiation qu’elle 1 suppose, ainsi que le prologue, laissent imaginer, le film n’a pas la forme d’un conte. Une fois le prologue fini, il ne s’agit plus, comme dans le Tabou de Murnau2, de raconter une histoire légendaire mêlée à des considérations ethnographiques, presque documentaire. Les protagonistes du film ne sont pas les locaux, mais les colons – et pas tout à fait dans leur figure romanesque d’explorateur perdu dans dans paysages exotiques, d’Européens en quête.

    Le film se sépare en deux parties, qui reprennent en les inversant les chapitres du film de Murnau ; le Paradis perdu, et le Paradis. Le paradis, c’est le Mozambique, colonie portugaise, où au pied du mont Tabou, Aurore possède une ferme. C’est depuis Lisbonne qu’on s’en souvient, les cheveux blancs et les yeux cachées par des verres fumés, et où, après avoir perdu son argent au casino, on réalise que la vie – et le film – ne ressemblent pas aux rêves. Le paradis perdu, ce sont ses rêves, aussi un cinéma qui ne reviendra plus ; naïf comme le prologue, exotique comme le paradis – ce cinéma que Gomes, plus que recopier, essaye de retranscrire . Cela passe bien sur par un noir et blanc déployant 3 une très large gamme de gris, le choix d’un pellicule au grain marqué, un formé d’image en 4/3, aussi par l’emploi d’une iconographie d’époque, de lumières dans les champs, de chasseuse entre les épis de blés, mais surtout par une assez fine compréhension de la fraîcheur cinématographique des premiers temps, où la caméra était aussi mobile que le matériel et les nécessités du cadrage le permettaient, et où le montage recomposait les bribes tantôt prises à la volée, et tantôt fruit de longues répétitions.
    Antoine Picard

    1 Notons que Gomes n’essaye pas de travailler avec un conte préexistant – mais utilise une palette d’images assez récentes (l’explorateur européen, les porteurs indigènes – pour lesquels il existe un abondant corpus photographique et cinématographique). Il ne s’agit pas à vraiment parler d’un conte, mais plus d’une idée poétique, peut-être deux, que l’image seule n’arrive pas tout à fait à communiquer (d’où l’emploi d’une voix off – qui n’est pas superflue ; si on pourrait comprendre l’intrigue sans elle, l’effort de déduction d’énigme demandé troublerait la transparence du récit).
    Le prologue n’est pas situé – cependant, la section “Paradis” du film se déroule au Mozambique. Ce prologue ressemble au film de Murnau, pas dans son thème, mais par le mélange entre un sujet presque allégorique et un regard par moment documentaire.
    2 Qui ne se déroule pas au Mozambique, mais en Polynésie.
    3 Tout le film est en 4/3 noir et blanc, mais les trois parties sont tournées de manière différentes. Le prologue joue sur des poses dans le goût de peintures symboliques (la posture de l’explorateur est figée dans une attitude que Puvis de Chavanne aurait pu peindre), la première partie a un grain fin et plus de tonalité (c’est un noir et blanc plus moderne), et la seconde partie, tournée en 16mm, est plus libre dans le cadrage, plus volant.