Noir et blanc.
Pays : France
Année : 2007
Avec : Anna Mouglalis, Édouard Baer, Jean Rochefort, Laurent Terzieff, Jean-Pierre Kalfon, Venantino Venantini, Roger Dumas, Alain Bashung, Arno, Bouli Lanners, Serge Larivière, Selma El Mouissi, Gérald Laroche, Gabor Rassov
On fait connaissance, tour à tour : d’un braqueur sans arme dont la victime est elle-même une braqueuse, armée ; de deux ravisseurs très amateurs qui enlèvent une adolescente suicidaire ; de deux chanteurs qui parlent d’un tube volé ; de cinq septuagénaires qui se retrouvent autour de leur « planque » d’antan. Trois des histoires, qui semblent distinctes au début, se révèleront au cours du film avoir quelques résonances, jusqu’à l’étonnant épilogue.
Comme d’habitude, l’entrée coûte 4 euros, 3 pour les membres du COF et vous avez la possibilité d’acheter des cartes de 10 places pour respectivement 30 et 20 euros. L’entrée est gratuite pour les étudiant.e.s invité.e.s.
Proposition d’analyse
« Shit happens ». Ces deux mots, en arrière-plan dans la chambre de l’adolescente suicidaire au centre de la deuxième partie de la trame narrative, pourraient être le sous-titre du film, tant la malchance et la maladresse semblent présider à la destinée des divers personnages mis en scène. J’ai toujours rêvé d’être un gangster est pourtant un véritable film de gangsters à l’américaine, et les revolvers, enlèvements avec rançon, braquages, bandits, larcins, grosses (ou moins grosses) voitures sont au cœur de l’intrigue. Le titre du film est d’ailleurs une référence directe aux Affranchis de Martin Scorcese et le situe dans une lignée des films traitant de la mafia et de la pègre, avec toutes les images et les atmosphères que cela évoque. Mais Samuel Benchetrit nous propose ici bien plus que cela, mêlant les codes de plusieurs genres cinématographiques, brouillant les pistes entre tragédie et comédie, avec des dialogues à la fois acerbes et touchants, pour aboutir à un film inclassable et inoubliable.
Un western comique à la française
D’un point de vue formel, le film fait appel à toute l’histoire du cinéma, emprunte la grammaire de différentes époques et différents genres, les décline et les mélange en un hommage parodique aux chefs d’œuvre du septième art qui hantent notre mémoire collective.
La première référence, évidente est celle du western à l’américaine : on peut ainsi retrouver les longs plans de paysages désertiques et immobiles qui permettent à la tension dramatique de se construire, des scènes de bar où les protagonistes sont accoudés au comptoir, désœuvrés et en attente du départ du prochain train (en l’occurrence un minibus), ou encore un duel (presque) au pistolet entre deux chanteurs. L’utilisation de la musique est similaire à celle d’un western, avec des mélodies rythmées qui projettent le spectateur dans l’univers mental du héros triomphant, et les longs silences des parkings désertés.
Cependant, la symbolique du western, et particulièrement celle du western spaghetti, est systématiquement déconstruite par la présence d’éléments dissonants, à commencer par le format atypique du film : en choisissant le format 1.33, Benchetrit enserre son sujet dans un cadre qui traduit le fossé existant entre la haute destinée d’un cow-boy de Sergio Leone et le futur incertain des personnages ici à l’écran, ce qui est renforcé par le recours au noir et blanc et le refus de la couleur. De même la musique, qui au premier abord semble refléter l’état d’esprit du gangster en pleine action, se révèle être la sono d’ambiance de la cafétéria qu’il tente de braquer, ce qui préfigure sa prochaine déconfiture face à une serveuse impassible.
Des clins d’œil sont lancés de façon explicite au cinéma muet, notamment en ce qui concerne les flash-back. Charlie Chaplin et Buster Keaton sont particulièrement distingués. Les cartons explicatifs, les mouvements exagérés des acteurs, le rythme accéléré des images, les situations comiques, tout y est, et cette fois-ci le format et l’absence de couleurs se conjuguent à merveille avec cette évocation des premiers pas du cinéma.
Le cinéma francophone a lui aussi voix au chapitre, notamment par le choix des acteurs : le couple de kidnappeurs rend justice au cinéma belge tandis que la bande des vieux braqueurs de banque rappelle les plus belles heures du cinéma français, le tout mâtiné de dialogues à la Audiard qui ravira les amateurs (et consternera sans doute les puristes).
Fragments de vies
La structure du film, quatre histoires indépendantes suivies d’un épilogue rappelant la première histoire, s’articule autour d’un lieu unique, une cafétéria au bord d’une route d’une zone périurbaine moyenne, et d’une journée unique, de sorte que les quatre histoires se recoupent partiellement, sans toutefois s’influencer complètement. Cette unité de temps et de lieu, privée d’unité d’action permet de sonder différents aspects d’un même phénomène, d’observer plusieurs de ses manifestations, ainsi que ses contradictions et ses limites.
Ce phénomène ? Il se trouve sans doute au croisement entre la constatation de l’absurdité de la vie et de ses conventions et la sublimation de l’échec par le caractère héroïque et désespéré des tentatives de survie des différents personnages.
C’est ainsi que, poussés par la misère, la vieillesse ou la jalousie, mais aussi une capacité de révolte face à leur condition, les protagonistes des quatre chapitres du film sont amenés à se transfigurer en gangsters hollywoodiens et prêts à enfreindre la loi et les lois morales. Ce mouvement de dépassement s’accompagne d’une part du retour cruel de la réalité matérielle qui résiste à leurs efforts. C’est ainsi que lampadaires, clés de voiture, corn-flakes, zèbres en peluche et restaurants McDonald’s constituent la principale force antagoniste du film, pour le plus grand bonheur des zygomatiques du spectateur. D’autre part, et c’est peut-être le plus fondamental, ce mouvement de révolte se heurte à l’altérité humaine, ce formidable miroir que l’on contemple en croisant le regard d’un être humain.
La violence inhérente aux braquages, enlèvements et autres actions répréhensibles est à chaque fois éclipsée par un dialogue entre les malfaiteurs en herbe et leur victime, dialogue à la fois franc et de nature à gommer toute relation de domination des uns envers les autres, en somme une simple discussion entre humains. Seule reste l’expression des peurs, des angoisses, des espoirs, des envies. Toute l’empathie que l’on éprouve pour un semblable défait alors les rêves initiaux de gangsters que l’on pouvait nourrir.
Une seule des histoires semble contredire cette règle : la rencontre entre Alain Bashung et Arno, interprêtés par eux-même. Ce chapitre, central dans le film, se démarque des autre par le fait que la rencontre et la discussion précède le forfait, dénué par ailleurs de toute violence, et les sentiments de jalousie et d’impuissance sont ici les produits de la conversation au lieu d’être atténués par elle.
Doit-on en conclure que le milieu du show-business corrompt irrémédiablement les individus ? Peut-on en déduire que la célébrité rend aveugle et insensible ? Arno aurait-il remarqué le chagrin d’amour de Bashung s’il n’avait pas été occupé à écrire pour son prochain titre à succès ? Bashung aurait-il pu éviter un plagiat s’il avait été moins été obnubilé par sa carrière ?
Toujours est-il que les véritables gangsters de ce film s’avèrent être les personnages qui de premier abord semblent les plus pacifiques et les plus irréprochables. Qui, par exemple, pourrait soupçonner la serveuse de la cafétéria, honnête et assidue, d’être coupable des plus grandes tromperies et d’accomplir les braquages les plus réussis ?
Raphaël