Couleur
Pays :France
Blu-ray . VO (FR)
Année :1974
Avec :Julier Berto, Dominique Labourier, Bulle Ogier
Comme d’habitude, l’entrée coûte 4 euros, 3 pour les membres du COF et vous avez la possibilité d’acheter des cartes de 10 places pour respectivement 30 et 20 euros. L’entrée est gratuite pour les étudiant.e.s invité.e.s.
en salle Dussane, au 45 rue d’Ulm
pour voir et revoir
Céline et Julie vont en bateau
de Jacques Rivette
Proposition d’analyse
Où vas-tu Céline ? Où vas-tu Julie ?
« Quel rôle féminin aurais-tu aimé jouer ? » demande Delphine Seyrig aux actrices qu’elle interroge dans son documentaire Sois belle et tais-toi(1981). « Céline et Julie !» répondent Maria Schneider et Marie Dubois. Qui sont donc ces Céline et Julie qui suscitent une telle passion ? Bien malin qui saurait répondre, car la première caractéristique des deux amies, ce n’est pas le goût pour la navigation mais l’art de la fugue. Il faut voir Julie suivre Céline dans les rues de Paris, récupérant toutes les affaires que ce petit Poucet rêveur égrène dans sa course. Comme Alice suivant le lapin blanc, comme ça, pour le plaisir de s’égarer.
On se déplace d’ailleurs beaucoup dans Céline et Julie. On court, on roule, on monte des marches quatre à quatre. Juliet Berto et Dominique Labourier avancent par sauts et gambades. L’immobilité, c’est l’ennui et l’ennemi. Phantom ladies, Musidora en deux fois plus forte, elles règnent sur la capitale. Paris leur appartient, mais on en vient à douter d’être vraiment à Paris, tant la topologie est sens dessus-dessous. A pied, sur des patins à roulettes, à la rame (quand même), les deux amies explorent le monde et ses mystères. Et voyagent même dans le temps. C’est sûr, ces filles sont un peu sorcières. Avec elles, trois heures passent comme un rien, et on se réveille des expressions curieuses plein la bouche et l’envie de courir quelque part, n’importe où, pour voir ce qui s’y passe, parce qu’on se dit qu’après tout l’aventure est peut-être au coin de la rue.
Rêvons sans entraves, à coup de bonbons acidulés qui fondent sous la langue et plongent dans un trip sous LSD. Puisqu’on est chez Rivette, il y a un complot, un secret. On veut tuer une enfant, mais qui veut faire le coup ? Entre Henry James (période Ce que savait Maisy ou L’Autre maison) et Fantômette, les deux filles mènent l’enquête, faisant se dérouler, encore et toujours, une curieuse pièce de théâtre jouée et rejouée par Marie-France Pisier, Bulle Ogier et Barbet Schroder1, fantomatiques et moribonds. « Il faut se sortir de la condition d’acteur robot,2», disait Juliet Berto. Aussitôt dit, aussitôt fait. Céline et Julie se projettent dans cette histoire policière, et font imploser de l’intérieur la belle mécanique du récit et le ronron du jeu, comme elles font imploser la logique, la langue, la fiction traditionnelle. C’est bien la célébration d’un art libre qui qui transparaît dans chaque exclamation des filles. Tour à tour actrices et spectatrices, les deux amies ne mâchent pas leurs mots, et commentent avec truculence tout ce qui passe à portée d’œil.
Jacques Rivette aime raconter des histoires, mais il ne les raconte jamais comme tout le monde. Avec ses deux interprètes, Juliet Berto et Dominique Labourier, c’est un festival de calembours, de récits sans queue ni tête, de saynètes absurdes qui aboutissent à un résultat rare et précieux : la joie. Et comme la joie va bras dessus, bras dessous avec la légèreté, les deux filles n’ont pas fini de rire, et de faire tourner en bourrique ces grands nigauds qui prennent la vie au sérieux. Ou comment Guilou, le fiancé d’enfance, se retrouve les fesses à l’air.
Vous n’avez rien compris à ce résumé ? Ce n’est pas grave, reprenez vos persils3 et un peu de vin herbé. De toute façon, quand il s’agit de magie, il n’y a rien à comprendre.
Anne
1 Cofondateur des Films du Losange, ami de Rohmer et Rivette, cinéaste, on le reconnaîtra à sa chemise de toute beauté.
2 Dossier de presse d’époque
3 Petite blagoune du film. Les gens ennuyeux disent « esprits ». Mais tout esprit de sérieux est banni ce soir. Donc vive le persil.
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