Couleur
Pays : Etats-Unis
35mm. VOSTFR
Année : 1952
Avec : Gene Kelly, Debbie Reynolds, Donald O’Connor, Jean Hagen
SEANCE PRESENTEE PAR BAMCHADE POURVALI, EN PARTENARIAT AVEC PARLER CINE
Comme d’habitude, l’entrée coûte 4 euros, 3 pour les membres du COF et vous avez la possibilité d’acheter des cartes de 10 places pour respectivement 30 et 20 euros. L’entrée est gratuite pour les étudiant.e.s invité.e.s.
en salle Dussane, au 45 rue d’Ulm
pour voir et revoir
Chantons sous la pluie
de Stanley Donen, Gene Kelly
Proposition d’analyse
« Ce film est dédié à Gene Kelly pour avoir empli nos cœurs de joie ». C’est sur ces mots que s’ouvre Le Sixième jour de Youssef Chahine, une dédicace que tous les spectateurs de Singin’ in the rain ne manqueront pas de reprendre à leur compte. Quelle est-elle, cette joie qui s’empare de nous dès que les notes familières se font entendre ? Cette joie si éclatante qu’elle rejette toute accusation de ridicule ou de naïveté, pour affirmer la primauté du plaisir et de la vitalité ? Non, il ne pleut pas. « Là où je suis, le soleil brille », dit le personnage de Gene Kelly en regardant amoureusement la femme qu’il aime. Et nous aussi, on se moque de la pluie.
La trame de la comédie musicale hollywoodienne est en général fort simple : un homme rencontre une femme. Elle lui plaît, elle le repousse. Et puis, ils se mettent à danser, et quelque chose de nouveau s’instaure entre eux, car on ne peut pas danser ainsi, dans une si belle union, sans être, au fond, destinés l’un à l’autre. Il y aura encore des malentendus, ou des obstacles à surmonter. Mais tant qu’on peut enfiler ses chaussures de claquettes, faire quelques pas à deux dans un parc ou un vallon plein de bruyères, on sait que les choses finiront par aller bien.
L’art de la comédie musicale repose en grande partie sur la manière de raconter cette histoire en y incluant, de la manière la plus convaincante possible, les numéros de danse et de chant requis. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, Singin’ in the rain est un modèle. Tout commence à Hollywood, où le célèbre acteur Don Lockwood (Gene Kelly), accompagné de son fidèle ami Cosmo (Donald O’Connor), vient présenter avec sa partenaire Lina Lamont (Jean Hagen) leur dernier succès. Les deux acteurs sont des stars du cinéma muet, un couple glamour que les magazines people ne cessent de vouloir marier. Sauf que ce soir-là, Don va faire la connaissance de Kathy (Debbie Reynolds), une jeune danseuse qui lui explique qu’elle ne s’intéresse pas aux films : « Quand on en a vu un, on les a tous vus. » Alors, bien sûr, Don va en tomber éperdument amoureux.
Le monde des studios, filmé au moment d’un bouleversement de son histoire, est un délice. Don parcourt le plateau, passant devant des indigènes et des cow-boys ; c’est un monde fou, où mille histoires sont en train de se construire les unes à côté des autres. Si le film tourne en dérision le côté un peu démodé de certaines de ces productions (voir l’hilarante parodie de film muet où les acteurs roulent des yeux à qui mieux mieux), il est aussi tendre pour ce microcosme qui se trouve au bord de la disparition, ce lieu où les destins se sont faits et se défont l’espace d’un instant. Il raconte l’époque où l’on tournait à tout va, où l’on criait d’un bout à l’autre des plateaux, où l’on inventait en permanence des histoires. Mais il ne faut jamais s’embarrasser des passions tristes : « Make ’em laugh1 », chante Cosmo, merveilleux complice dont les saillies viennent en permanence dédramatiser toutes les situations. A la mélancolie, le film substitue l’ingéniosité et l’esprit d’invention, à l’engourdissement la danse.
Derrière le duo Cosmo-Don se lit un autre duo : celui formé par Gene Kelly et son metteur en scène, Stanley Donen. Avec eux, le film avance avec une grâce diabolique. Que ce soit les répliques finement ciselées, les pas de danse, les quiproquos, tout va à toute vitesse, tout s’enchaîne à un rythme effréné. A chaque fois, le miracle opère, l’enchantement reprend ses droits. C’est cela, la perfection sans prétention du cinéma de Donen et des entrechats de Gene Kelly : l’art de faire croire que la beauté est aisée.
Dans Singin’ in the rain, la danse naît naturellement. C’est un prolongement des mots, une manière de signifier autrement. Don a du mal à se déclarer à Kathy. Il lui faut le bon éclairage, le bon décor. En effet, le cinéma, cet univers décrit comme pure invention, bric-à-brac un peu fou, offre aux sentiments la possibilité de se déployer. Enfin, les mots viennent, et c’est une chanson, et puis ça devient une danse, parce qu’elle l’aime aussi. C’est tout simple et enivrant. Le musical arrive, dans la lignée des événements quotidiens. Une petite phrase, soudain chantée par Kathy, sans musique, dit la proximité entre parole et chanson. Un entraînement de diction se transforme en une prosodie entêtante, une remarque fait naître une danse à trois…Sans oublier la sensualité du fameux pas de deux avec Cyd Charisse, qui commence comme une parodie sensuelle de Scarface pour devenir un rêve partagé, vaporeux et envoûtant.
Quant à la fameuse chanson sous la pluie, on croit toujours la voir pour la première fois. Elle naît comme ça, presque sans qu’on s’en rende compte, avec un pas un peu différent du précédent, un geste à peine plus marqué. Les flaques, la pluie qui tombent deviennent des instruments sous les pieds bondissants de Gene Kelly, le clapotis de l’eau est une chanson qui l’accompagne. La danse est virtuose, merveilleuse, et en même temps, elle repose sur des éléments de décors si simples : un trottoir, qu’on monte et qu’on descend, un lampadaire qui semble attendre quelqu’un. Le film culmine dans une explosion de joie pure, alors que Gene Kelly saute à pieds joints dans les flaques, comme un enfant.
Une vision qu’on emporte précieusement avec soi, le cœur empli de joie, tandis qu’on fredonne un petit air, qui commence par « dou-dou-dou ».
Anne