Noir et blanc
Pays : Italie
Année : 1964
Avec :
Comme d’habitude, l’entrée coûte 4 euros, 3 pour les membres du COF et vous avez la possibilité d’acheter des cartes de 10 places pour respectivement 30 et 20 euros. L’entrée est gratuite pour les étudiant.e.s invité.e.s.
Proposition d’analyse
Un micro à la main, Pier Paolo Pasolini parcourt l’Italie en commis voyageur interroger les Italiens des villes et des campagnes, ouvriers et paysans, sur la façon dont ils se représentent l’Italie depuis le prisme de l’amour, de la sexualité.
« Qui de vous trois peut me dire comment vous êtes nés », demande Pasolini à une bande de gamin. Dans ce premier plan, Pasolini apparaît dans le champ de la caméra, face aux gamins avec qui il discute, micro à la main. Ainsi, le film dévoile d’emblée son dispositif, lequel est immédiatement visible pour le spectateur. Si dans le plan suivant on ne voit plus le cinéaste, le spectateur sait à qui appartient la voix qu’il entend puisque le plan précédent l’a rendu explicite. La caméra, rapprochée, passe d’un enfant à un autre, d’une réponse à l’autre, et laisse au spectateur, par la durée des plans, assister à l’invention d’une réponse, aux fabulations des gamins qui redoublent d’imagination pour contourner la difficulté, les tabous face auxquels Pasolini les place. Ainsi, l’un des enfants avoue que c’est son oncle qui l’a emmené, fait naître, pour un autre, c’est la sage-femme dans son panier à fleurs, ou encore, la cigogne. Plus loin, Pasolini s’adresse au spectateur : « voyons ce que les enfants de Palerme savent » dit-il dans le champ. La dimension géographique de l’enquête menée par le cinéaste apparaît alors tandis que le spectateur semble être conduit à s’interroger sur la dimension spatiale des représentations liées à la sexualité, les divergences des mœurs et des idées des italiens selon l’endroit où ils vivent.
En fait, d’un Nord industriel à un Sud archaïque, Pasolini semble guetter et même parfois provoquer, par ses questions, ce qui surgit dans les paroles de ceux qu’il interroge, des « débris d’une idéologie clérico-fasciste » d’une culture italienne qui se met à révéler « sa propre nature archaïque, incongrue, névrotique ». Le film avance de recherche en recherche, quatre au total, par une démarche qui rejoint celle du cinéma vérité, cité directement lors de la première discussion menée avec les intellectuels Alberto Moravia et Cesare Musatti. « Je me tourne vers vous en tant qu’experts pour vous demander si l’enquête que je débute a du sens. Moravia, qu’en pensez-vous ? » dit Pasolini. On se rend compte très vite que les experts nommés par le cinéaste, sur cette question du sexe en Italie, sont eux aussi invités à participer à l’enquête. Contre ce « tabou, non pas seulement à l’écran, mais aussi dans les interactions sociales, les conversation quotidiennes », dans un contexte où les gens pourraient « ne pas répondre ou mentir », une proposition que semble faire Pasolini semble être celle, éminemment politique, de la mise en scène du dispositif filmique, de révéler, faire apparaître tout le processus de dissimulation de ce qu’on pense et l’interroger, le questionner, et par là mettre du mouvement dans ce qu’il pouvait y avoir de figé. Cela à l’occasion de discussion, d’échanges, où le cinéaste joue lui-même le jeu, se rend visible, s’expose. Malgré le pessimisme qui peut se dégager des réponses apportées aux questions de Pasolini, Enquête sur la sexualité tisse ensemble, montre, fait apparaître pour le spectateur une multiplicité de visages, de paroles, de vies prises dans leurs contradictions. Or cette multiplicité qui surgit est, comme a pu le rappeler Hervé Joubert-Laurencin, un « antidote de la totalité », contre le totalitarisme, l’Etat, l’immobilisme. Elle participe à la beauté et la force du film.