La Belle et la bête de Jean Cocteau
(mardi 16 décembre 2014, 20h30)

Réalisé en 1946, La Belle et la Bête est l’une des toutes premières collaborations au cinéma du poète, dramaturge et cinéaste Jean Cocteau avec l’acteur Jean Marais. Venez (re)découvrir l’une des premières adaptations à l’écran du célèbre conte de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, lequel, comme réveillé par la force et l’originalité du cinéma de Cocteau, tâchera de nous rappeler de précieux enseignements.

Proposition d’analyse

Adaptation à l’écran du conte de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, le film de Jean Cocteau met en scène Josette Day dans le rôle de la Belle et Jean Marais – acteur fétiche de Cocteau qui le dirigera par la suite dans ses derniers long-métrages : L’Aigle à deux têtes, Les Parents terribles, Orphée et Le Testament d’Orphée – dans le rôle de la bête, mais aussi… celui d’Avenant, prétendant de la Belle !

Un conte de fées revisité

On ne peut pas dire que le film de Cocteau doit son originalité à son scénario. En effet, ce dernier est globalement très fidèle au conte, à l’exception – certes importante – de la scène finale. De ce fait, les thèmes qui y sont abordés sont essentiellement les mêmes, tout comme les enseignements qu’on peut en tirer. C’est plutôt ce qu’a fait le cinéaste du conte qu’il est de rigueur de mettre en avant, peut-être pour sa mise en scène fantasmagorique, caractéristique d’un style qu’on peut retrouver dans Le Sang d’un Poète ou encore Le Testament d’Orphée, ses décors tantôt classiques et épurés, tantôt hantés de visions cauchemardesques au-dessus desquelles plane l’influence des gravures de Gustave Doré. Peut-être pour sa musique qui accompagne avec virtuosité la remarquable interprétation de ses acteurs, dont les dialogues sont tantôt amusants et inattendus, tantôt bouleversants.

On peut se demander pourquoi Cocteau a choisi d’adapter à l’écran ce conte de fées. Certes le cinéaste y reprend les thèmes de l’amour et du don de soi, qui sont les éléments majeurs du conte, mais selon moi, c’est bien plus dans les enseignements de ce dernier qu’il y reconnait une question qui lui est chère : peut-on briser le miroir qui sépare l’apparence d’un homme à sa vérité ? En effet, l’issue du conte nous rappelle essentiellement qu’une apparence monstrueuse peut cacher un cœur pur et inversement, qu’une belle personne peut être mauvaise.

« – Mon cœur est bon, mais je suis un monstre.
– Il y a bien des hommes qui sont plus monstrueux que vous et qui le cachent. »

La simplicité de cette formulation, Cocteau s’en amuse en commençant son film sur un ton enjoué, présentant celui-ci de manière ludique et en demandant au spectateur de le regarder avec un esprit naïf. Mais l’idée même de la métamorphose des personnages, ou plutôt de ce miroir qui se brise, n’est jamais rien de plus qu’une image dans les contes, alors qu’elle est une obsession chez Cocteau.

« L’amour peut faire qu’un homme devienne bête. L’amour peut faire aussi qu’un homme laid devienne beau. »

Le fait que cette obsession est certainement aussi l’objet de ce film se manifeste par la présence dans ce dernier d’éléments redondants chez le cinéaste : le miroir, qu’on retrouve notamment dans Le Sang d’un Poète, La Belle et la Bête et Le Testament d’Orphée, symbole de la dualité entre les apparences et la vérité, de même que la dualité marquée par la profonde séparation – à tous points de vue, de la musique aux décors en passant par les dialogues – entre les scènes qui se déroulent chez la Belle et celles qui se passent chez la Bête. Dans le domaine de la bête, les éléments caractéristiques des autres films de Cocteau sont très présents : l’obscurité – bien que ce dernier aspect du tournage soit en partie dû aux difficultés financières auxquelles l’équipe du film a fait face en cette période d’après-guerre – le feu, des statues qui s’animent et des membres qui se meuvent tout seuls …

Le monstre sensible au cinéma

Le cinéma a abondamment exploité cette image du monstre aimant, de la laideur et de la terreur en tant qu’obstacles à l’amour. Cette figure qu’incarne la Bête a donné lieu à de nombreuses représentations, associant dans un personnage unique pouvoir, violence et amour. Le premier exemple auquel on pense est bien sûr celui du dessin animé de 1991 produit par les studios Disney, La Belle et la Bête. On pense aussi immédiatement au gorille géant King Kong, personnage qui a donné lieu à une multitude de films, parmi lesquels on retient surtout l’original de 1933 (De Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack), connu pour avoir fait appel à l’animation en volume (ou « stop-motion ») de manière remarquable à cette époque, et ses deux remake respectivement de 1976 (de John Guillermin) et de 2005 (de Peter Jackson) : ici aussi, le monstre est craint et pourchassé par les hommes, mais tandis que l’amour de la Bête finit par cesser de la faire souffrir, celui de Kong le mène à la mort. Parmi tous les personnages que la Bête inspira à la postérité, tout du moins en partie, on pourra aussi citer le personnage de Hulk, créé à l’origine en 1962, pour la Marvel, par Stan Lee et Jack Kirby puis interprété plusieurs fois à l’écran, ou encore la Mouche de David Cronenberg (du remake de 1986 du film de 1958 La Mouche Noire, de Kurt Neumann), plus proche de la Bête que la Mouche originale en ce que son basculement progressif vers la monstruosité, conséquence de sa soif de pouvoir, compromet sa relation amoureuse… Le personnage de la Bête, ce qu’il représente, même sous une forme différente, n’a donc pas fini d’inspirer les cinéastes, comme il inspira Cocteau dans le film de ce soir.

– Nicolas


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