L’Oiseau au plumage de cristal de Dario Argento (14 décembre, 3h)

Proposition d’analyse

Sam Dalmas, écrivain américain en vacances à Rome, assiste un soir en témoin impuissant à une tentative de meurtre dans une galerie d’art. Hanté par cette vision, il se lance sur les traces du mystérieux assaillant, mais ne tarde pas à devenir lui-même la cible du tueur.
Le cinéma de Dario Argento est un éternel flirt entre le génie et le navet. En surface bien sûr, sa carrière éclectique nous montre que le réalisateur est assez littéralement capable du meilleur comme du pire, mais cette affirmation cache une caractérisation plus essentielle de son style et de son œuvre. L’Oiseau au plumage de cristal, son premier film, est l’un des meilleurs exemples de cette hybridation étrange entre la maîtrise et le bricolage, qui rend Argento si singulier.
En premier lieu, le savoir-faire du cinéaste est manifeste. Dans ce film, comme dans ses suivants d’ailleurs, un souci remarquable est accordé à la composition visuelle. Quelques traits suffisent à rendre frappante et iconique la scène de la première attaque, tout comme quelques effets de fumée créent l’inquiétude dans une rue déserte. Pour un film réputé comme ayant popularisé un genre entier (le giallo italien, melting-pot très esthétisé entre le polar, l’horreur et le thriller psychologique), il reste rudement efficace dans un domaine plus reconnaissable, celui du film policier classique1 – dont l’enquête est clairement racontée au gré des rebondissements et au fil des suspects excentriques.
Et puis, le film trébuche. À certains instants, le jeu des acteurs tombe à plat, les répliques deviennent inexplicablement maladroites (voir le magnifique « je suis persuadé que j’en sais plus sur cette affaire que je ne le pense » de Dalmas, ou encore mon préféré : au troisième coup de téléphone chuchoté et menaçant du tueur, la réponse « qui est à l’appareil ? »), des idées incongrues sortent de nulle part (citons au hasard un peintre fou qui mange les chats errants), et soudain les ficelles deviennent visibles. Mais au lieu de gâcher l’expérience de visionnage, ces instants dévoilent la mécanique sur laquelle il est construit : les imperfections rendent limpides l’intention du film, qui est par ailleurs assez bien conçu pour ne pas rompre l’immersion. Le résultat est une expérience particulièrement stimulante, un film qui dévoile son jeu tout en l’exécutant très efficacement.
Tous les films de Dario Argento comportent cette donnée quantifiable de bon et de moyen, avec plus ou moins d’effet. Certains sont plus unilatéralement maîtrisés (Suspiria, Profondo Rosso), d’autres tombent dans le piège de l’incongru excessif (Phenomena, Opera), et certains (comme celui-ci ou Ténèbres) sont dans cet équilibre quasi-magique qui en fait les plus ludiques, et peut-être les plus réjouissants, à regarder.

1 – On n’aurait aucun mal à croire le Décalogue de Knox, l’ensemble de règles du « bon roman policier » édictées dans les années 20, respecté à la lettre.
2 – C’est d’autant plus frappant qu’une préoccupation récurrente d’Argento porte sur la subjectivité de l’œil humain et sur la faiblesse de la mémoire, certains de ses films montrent d’entrée de jeu la clé de l’énigme, à l’image. Il en résulte un sentiment d’interactivité, devant et derrière la caméra.


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