La Flèche et le Flambeau de Jacques Tourneur (mardi 05 février 2019, 20h30)

Comme d’habitude, l’entrée coûte 4 euros, 3 pour les membres du COF et vous avez la possibilité d’acheter des cartes de 10 places pour respectivement 30 et 20 euros. L’entrée est gratuite pour les étudiant.e.s invité.e.s.

Et pour résumer :

Rendez-vous le mardi 05 février 2019, 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d’Ulm
pour voir et revoir
La Flèche et le Flambeau
de Jacques Tourneur

Proposition d’analyse

« J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. » Rimbaud, Illuminations

Plaisant, mais mineur. On n’en fait pas beaucoup de cas dans la littérature critique. Si, si, c’est pas mal, mais enfin… Enfin, ça fait un peu tache dans la filmographie, une tache en Technicolor, certes, mais une tache quand même. La Flèche et le Flambeau apparaît comme une fantaisie baroque, aux côtés des films noirs [Out of the past], des films fantastiques [Cat People] ou des westerns [Canyon Passage] qui ravissent les partisans de la politiques des auteurs. Mais l’auteur, à Hollywood, fait rarement ce qu’il veut, et Tourneur a touché à plus d’un genre, du western au film de pirate. Si unité dans l’œuvre il y a, le modeste Tourneur la voit ainsi : « Simplicité, honnêteté, c’est tout. Parce que j’ai fait des films tellement disparates, ils ne se ressemblent pas. » En 1950, Jacques Tourneur sort du quasi échec de son film préféré, Stars in my crown, chronique d’une petite ville du Sud des Etats-Unis. Pour se remettre en selle, et parce que l’homme a pour règle de ne presque jamais refuser un scénario -il y aura bien quelque chose à en tirer- Tourneur se lance dans le tournage de ce récit à la gloire de son interprète principal, Burt Lancaster.

Nous voici donc dans la Lombardie du XIe siècle, où une bande de joyeux lurons résistent à la tyrannie d’un seigneur. Il y a du Guillaume Tell chez Darlo, ce père aimant qui est attaché, plus que tout, à sa liberté et à son fils. Tout y est, y compris la flèche et la pomme. Rétrospectivement, on peut lire cette histoire de révolte à la lumière de l’ambiance délétère qui se répandait à Hollywood grâce aux bons soins du Sénateur Mccarthy, qui avait un peu tendance à voir rouge. Waldo Salt, le scénariste de La Flèche et le flambeau, a été blacklisté durant la chasse aux sorcières. Voici pour la lecture politique-ce-film-en-dit-plus-qu’il-n’en-a-l’air-le-cinéma-c’est-sérieux. Mais Jacques Tourneur n’est pas la Joan Baez du cinéma américain, et la politique n’est pas sa passion.

Ce qui l’intéresse, en revanche, c’est de raconter des histoires. Et il sait merveilleusement le faire, comme tous les grands cinéastes de l’âge d’or hollywoodien. Avec lui, on cherchera en vain la scène inutile, la fioriture arty, le plan qui fait joli. Raconter, c’est un art de la précision : « Moi je crois toujours à la chose très directe. Je raconte une histoire, il y a des enfants autour, et puis je dis : mes enfants, je vais vous raconter une histoire. « Il était une fois… » Eh bien, on ne s’amuse pas à aller en arrière, pendant le guerre de 14, puis tout d’un coup sauter….Non, on raconte une histoire. Là aussi, j’ai peut-être tort, mais je crois à la ligne directe, et je crois beaucoup à la charpente. »1 La métaphore ne surprend pas, à une époque où les cinéastes se considéraient davantage comme des artisans que comme des artistes2, et valorisaient le plaisir et l’expérience du tournage. « Je faisais de mon mieux avec ce que l’on me donnait, comme un ouvrier à qui l’on donne un morceau de bois» conclut Jacques Tourneur.

Artiste, Tourneur l’était cependant indéniablement, quand il affirmait  qu’« il faut savoir peindre avec la lumière3». Exigeant avec ses chef-opérateurs des sources de lumière naturelle -fenêtre ou lampe- pour les scènes, le cinéaste savait l’influence que la lumière avait sur le jeu des acteurs. Il savait aussi qu’il suffit d’une ombre, parfois, pour créer de l’inquiétude, et dire les forces obscures qui se tapissent dans le recoin de nos vies bien rangées. Que l’obscurité soit faite, et un combat à l’épée devient un moment d’angoisse, où l’origine des sons est incertaine, où le corps se contracte tandis qu’on perd pied. Heureusement, le trouble n’est que passager, et notre héros n’y cédera jamais.

La Flèche et le Flambeau s’inscrit dans une lignée de films de cape et d’épée portés par des acteurs charismatiques, des films à la gloire de corps puissants et virevoltants. Le premier héros du genre était Douglas Fairbanks, tour à tour pirate et justicier masqué ; puis vint Errol Flynn, justicier irrésistible à la moustache fine et au rire communicatif. Un modèle que Burt Lancaster s’applique consciemment à dépasser dans ce film clin d’oeil au Robin Hood de Michael Curtiz4. Le scénario ménage des moments d’acrobaties virtuoses pour l’ancien trapéziste, accompagné de son partenaire de toujours, Nick Cravat. L’un des grands bonheurs du film réside dans cette maîtrise totale de l’espace et du décor : Lancaster, « fixé au centre de l’attention, ordonne au film de s’enrouler autour de lui5 ». A l’aise sur le terre comme dans le ciel, il utilise, en inventeur joyeux, tous les éléments du décor pour les plier à sa volonté, pour le plus grand bonheur du spectateur.

« Il faut faire des films où l’on s’échappe un peu […] Parce que nous portons en nous beaucoup de notre temps de jeunesse, les histoires de notre oncle et de notre tante, ça reste en nous, qu’on le veuille ou non. Et alors on raconte une histoire, et plus cette histoire est un conte de fées, plus ça sert son but: pendant un moment, les gens oublient qu’ils ont des cors aux pieds, ou mal aux dents, ils oublient tout ça. Ça, c’est notre but.» C’est aussi le nôtre ce soir.

Anne Sivan

1 Jacques Tourneur, in «Entretien avec Jacques Tourneur», in Jacques Tourneur, Camera/stylo n°6 , mai 1986, p.60
2 Sauf des exceptions comme Josef von Sternberg, qui racontait faire la mise en scène, le cadrage, la lumière et la direction d’orchestre. S’il avait pu, il aurait sans doute joué Lola-Lola à la place de Marlene Dietrich.
3 Cité in Bertrand Tavernier, Amis américains. Entretiens avec les grands auteurs d’Hollywood, Institut Lumière, Actes Sud, 2008, p.427
4 La Warner a réutilisé nombre de décors de cette ancienne production pour le film de 1950, d’où un air de famille qui n’est pas que dû aux collants du héros.
5 Pierre Eugène, «Worldwide Web», Jacques Tourneur, Capricci, 2017, p.178
6 Jacques Tourneur, in «Entretien avec Jacques Tourneur», in Jacques Tourneur, Camera/stylo n°6 , mai 1986, p.65



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