La Belle et la Bête de Jean Cocteau (mardi 08 janvier 2019, 20h30)

Comme d’habitude, l’entrée coûte 4 euros, 3 pour les membres du COF et vous avez la possibilité d’acheter des cartes de 10 places pour respectivement 30 et 20 euros. L’entrée est gratuite pour les étudiant.e.s invité.e.s.

Et pour résumer :

Rendez-vous le mardi 08 janvier 2019, 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d’Ulm
pour voir et revoir
La Belle et la Bête
de Jean Cocteau

Proposition d’analyse

Perdu dans la forêt au retour d’un voyage d’affaire, un marchand s’abrite dans un château abandonné et enchanté. Sur le point de partir, il cueille une rose pour sa plus jeune fille, Belle. Le maître des lieux, courroucé par ce vol, ne laisse la vie sauve au marchand qu’en échange de sa fille.

La Belle et la bête est l’adaptation libre d’un conte, dont la source la plus répandue vient d’un recueil de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont destiné aux enfants. Cocteau n’est 1 pas le premier à adapter ce sujet – un premier film sur le sujet est sorti en 1899, et Ravel compose en 1908 Les Entretiens de la Belle et la Bête, courte pièce pour piano à quatre mains. Si nous pouvons nous écarter un peu du film de Cocteau, et aussi un peu du cinéma – et nous le pouvons-, touchons un mot sur l’adaptation, cette étrange ambition d’alchimiste qui transforme un conte en musique, une chimère de mots en une chimère d’images. Tout d’abord, pourquoi ? L’excuse usuelle, la plus grande facilité de diffusion de certaines formes transcrites – pour un musicien, la réduction d’une oeuvre pour orchestre à un piano, pour d’autres, l’adaptation alimentaire d’un livre à succès en film, n’est pas convaincante ; elle sent bien trop le pis aller, ne prétend qu’à justifier une dégradation et nie le génie qui rayonne dans, par exemple, Siegfried idyll transcrit par Gould, Le Feu follet de Louis Malle. Ce qui justifie pleinement l’adaptation est là – dans la qualité du produit final, indépendamment de la première oeuvre qui n’existe que sous d’autres contraintes ; on entrevoit une matière première qui peut se façonner dans un autre langage, un peu comme on reconnaît dans un paysage un sujet à tableau2.

Les contes ont été rapidement reconnus comme une matière première docile au cinéma. L’image d’un film a une valeur singulière, qui confère aux trucs et astuces, un statut bien différent des illustrations qui accompagnaient les recueils. Il ne s’agit plus d’un dessin, de quelques traits imprimés sur une page – il s’agit d’une photographie projetée, qui, malgré le factice évident, porte plus de crédit3. La duperie du merveilleux est saisissante. Aussi l’enjeu de la Belle et la Bête est de créer visuellement cette Bête, ce qui ne demande à l’écrivain que d’écrire “une bête horrible” – de transformer un mot en une apparence. La littérature a le luxe de la concision – mieux qu’une longue description, un mot peut convier le frémissement, et moins nous savons pourquoi cette bête est horrible, plus nous sentons qu’elle a l’essence de l’horreur.4 Bien sur, qu’importe le nombre d’heures de maquillage, la représentation de cette phrase doit être décevante5 ; mais, une fois placée dans un décor, mobile, autre chose se met en place. Ce qui pourrait nous inquiéter, dans la Bête, n’est pas son apparence, mais ce collage du rêve sur la photographie.

Mais l’univers visuel de La Belle et la bête ne rend pas ce contraste saisissant – la Bête n’est pas seul à être enchantée, le décor l’est aussi. Cocteau crée un univers visuel de conte, ou plutôt, d’une certaine énonciation du conte. Le château n’est pas fait de pierre et les murs couverts de tapisseries, il est peint d’ombre et ornées de textures duveteuses6. Les lumières sont de velours. Les costumes et les accessoires sont symboliques, et similaires à celles d’illustrations – les abondantes pierreries scintillent à chaque mouvement au dessus des tissus noirs. Des rideaux fins baignent et ondulent dans la lumière du matin, puis nous entrons dans une chambre où les rayons du soleil sont comme tamisés par de grands arbres. Là, tout n’est qu’ordre et beauté ; luxe, calme, et volupté. La Belle et la bête s’engage dans la route fléchée par “il était une fois”, cultive dans un jardin de topos quelques éléments fantastiques mis aux places d’honneur – les bras domestiques, la statue enchantée7. Privilège du cinéma, la simultanéité de la vision permet à l’action de se reposer sur le décor féérique, sans l’interrompre, et d’équilibrer la description. Une belle scène du film, où la Belle découvre le château, ne pouvait être qu’au cinéma – un mouvement dans des couloirs où les candélabres s’inclinent et où les rideaux dansent.

Quelle morale pour ce conte ? Le triomphe final des apparences est amusant, venant corrompre tout le cheminement. Au moment où la Belle dépasse son dégoût pour l’aspect de la Bête, elle en est récompensée par sa métamorphose en l’image d’un charmant jeune homme – ce qui rend caduc le progrès et le sacrifice. Comme tout conte s’achevant par un Deus ex Machina, la morale est pervertie par l’aide extérieure . Les dernières images semblent finalement abandonner les prétentions éducatrices 8 du conte, n’en garder que le merveilleux, meilleur éducateur, plus profond et moins. La morale est d’apprécier le film outre ce qu’il tente d’établir, mais pour de plus hautes vertus.

Antoine Picard

1 Peut être est-il prudent de rappeler que tel n’est pas le cas pour tous les recueils de contes – les fameux contes de Grimm forment un travail d’universitaires sur le folklore, et n’ont pas de visées éducatrices à priori.
2 L’auteur souhaite être clair sur le point suivant – l’intérêt ne réside pas dans le lien entre les oeuvres ; le plaisir artistique n’est pas pédanterie et refuge dans un labyrinthe de jeux intertextuels. L’auteur déclare avoir la plus piètre opinion de Génette.
3 Si – a priori – une image filmée n’a pas plus de valeur qu’un dessin, notre compréhension de cette image n’est pas aussi impartiale – nous attribuons une valeur documentaire, un caractère de témoin, à l’image filmée et photographiée.
4 C’est un mérite de la pensée idéaliste de la littérature, d’une expression par concepts.
5 Beaucoup – et l’auteur – ont surement des souvenirs de jeunesse où telle figure, telle image, nous glaça d’effroi, bien plus qu’une phrase ne put y parvenir. L’idée de l’horreur est pourtant bien plus effrayante que la représentation que nous pouvons lui donner – une fois que nous avons donné un visage à la Mort, nous l’avons sous contrôle, elle est devenue
humaine, un pantin ou un animal de cirque, et il nous ne reste plus qu’à la faire danser pour retrouver le sourire.
6 La texture des images des films s’est modifiée depuis le début du vingtième siècle – la gamme de tonalité s’est enrichie, ce qui ôte l’aspect brut des images des films précédant les années 30. La technologie des optiques a aussi changé, et les arrières plans flous sont plus doux.
7 L’emphase mise sur le fantastique relève du choix du conteur plus que du respect du texte. Pour reprendre un exemple cher à l’auteur, cette phrase de Barbe bleue, “Or, cette clef était fée”, fond la féérie dans une observation un peu froide. La mise en scène littéraire du fantastique dans le conte est une irruption sobre de l’imaginaire dans le vraisemblable, et le cinéma peut aussi présenter un rapport non conflictuel entre ces deux mondes – voir par exemple Nosferatu. La Belle et la bête parle d’une voix de conteur, où tout est déjà symbole, et souligne le fantastique – avec des ralentis, quelques gros plans, le jeu d’éclairage – sans basculer dans un monde de décor présenté comme décor – ce qui est le cas par exemple, des films de Karol Zeman, de l’expressionisme allemand, de quelques films de Resnais, et n’est pas le cas des films de Demy.
8 Ceci n’a pas l’air de gêner outre mesure certains conteurs – la récompense de la vertu, issue des moralisateurs, prend alors souvent une forme paradoxale ; disons qu’elle semble avoir besoin d’un coup de pouce… Ce qui entraîne les dérives littéraires à la Sade.



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