Gerry de Gus Van Sant (mardi 19 septembre 2017, 20h30)

Comme d’habitude, l’entrée coûte 4 euros, 3 pour les membres du COF et vous avez la possibilité d’acheter des cartes de 10 places pour respectivement 30 et 20 euros. L’entrée est gratuite pour les étudiant.e.s invité.e.s.

Proposition d’analyse

On rappelle souvent que le scénario du film Gerry est inspiré d’un fait divers : deux jeunes hommes partis marcher dans le désert et retrouvés morts à 300 m de la voiture qu’ils ont cherchée en vain pendant plusieurs jours. Pourtant, Gerry est tout sauf une reconstitution sensationnaliste à la 127 heures et il serait hasardeux de le rapprocher des nombreux films « inspirés d’une histoire vraie » qui parsèment le cinéma américain contemporain. Le fait divers qui inspire le film a en effet un caractère dérisoire qui fait écho à l’ironie avec laquelle les personnages de Gerry perçoivent leur sort. De plus, Gus van Sant ne cherche jamais à emporter l’adhésion du spectateur par des effets de mise en scène grandiloquent. On a au contraire affaire à un film très honnête du point de vue de la représentation : la présence de la caméra nous est sans cesse rappelée Celle-ci a tendance à ne pas s’accorder avec les pas des personnages, voire à s’en séparer (à tel point que Casey Affleck semble à un moment donné obligé de la rappeler à l’ordre pour que l’histoire puisse suivre son cours). Le film insiste également sur la possibilité du trucage : on découvrira par exemple au milieu d’une scène que Casey Affleck est debout sur un rocher, au sommet duquel on se demande bien comment il a pu monter. Gus van Sant nous rappelle ainsi que l’image qu’il nous montre est le résultat d’un processus créatif et ne peut donc pas être considéré comme un témoignage objectif de la réalité. Le film semble au contraire chercher à créer un cadre purement fictionnel : les rares conversations entre Matt Damon et Casey Affleck qui ne traitent pas de leur situation présente ont trait à des univers plus ou moins fictifs (jeux télévisé ou vidéo).

Gerry n’est donc pas un film que l’on peut qualifier de réaliste. Pour autant, le film s’éloigne des processus narratifs classiques: le scénario est réduit au strict minimum et parsemé de grandes apartés pendant lesquelles Gus van Sant se contente de filmer le paysage. Dès la première scène, le film est empreint d’un rythme très lent. Celle-ci surprend à plusieurs égards : en premier lieu par son caractère étonnamment conclusif (dû en particulier au piano mélancolique d’Arvo Pärt et à l’absence des sons diégétiques) et surtout par sa longueur. Ce n’est pas la seule scène du film qui peut sembler exagérément longue et donner l’impression que le film stationne. C’est pourtant rarement le cas et, plus qu’à l’avancée de l’intrigue, il peut être bon de se concentrer par exemple sur les variations de la lumière (à tel point que le scénario semble parfois n’être qu’un prétexte, un artifice pour e pas perdre le spectateur). La recherche formelle est en effet un point crucial du film, et le choix de faire se dérouler l’action dans un désert n’est pas anodine : ce cadre permet des constructions de plan très atypique (on pense par exemple à la scène du rocher déjà évoquée ou aux nombreux plans très larges dans lesquels les personnages semblent presque accessoires). De plus, ce cadre fait référence à un des genres le plus particulièrement du cinéma américain : le western (comme la scène d’ouverture évoque le road-movie, un genre dont une des principales influences est le western). Notons en effet que si Gerry s’éloigne des processus narratifs classiques, c’est un film truffé de références cinéphiliques (notamment au cinéma de Bela Tarr et, pour ce qui est du western, au film d’Erich von Stroheim, Les rapaces).

Cette confrontation au cinéma américain classique fait écho à la confrontation des personnages, deux citadins, à la nature sauvage. Le thème du retour vers une nature sauvage fantasmée est apparu de manière très violente dans le cinéma américain dans les années 70 (on pense notamment à Délivrance de John Boorman) et a pu être traité depuis sur un mode plus apaisé (voir par exemple Old Joy de Kelly Reichardt). Toujours est-il que la rencontre entre la nature et le citadin est à l’origine d’une déception, celui-ci se rendant compte qu’il n’est pas celui qu’il pensait être. Les deux personnages ne semblent en effet pas être à leur place, comme le révèle par exemple l’incongruité du discours de Casey Affleck (« I conquered Thebes ») qui s’oppose au calme et à la temporalité du film. À ce propos, il peut être intéressant de s’intéresser à l’origine du titre du film. « Gerry » est un terme légèrement passe-partout, à l’origine utilisé par Matt Damon et Ben Affleck dans leurs conversations privées, dont le sens n’est pas très clair mais qui semble évoquer une connerie ou quelque chose qui échoue. Ce terme est aussi utilisé dans le film comme un verbe, on notera notamment l’invective de Casey Affleck : « You gerried the rendez-vous ». Gerry est donc placé sous le signe de la déception, de l’échec. Dès le début du film, Matt Damon et Casey Affleck abandonnent l’objectif initial de leur randonnée (alors que « tous les chemins y ménent »), comme Gus van Sant abandonne les schémas narratifs traditionnels . La perte du chemin est ensuite vécu plus sur le mode de l’incompétence que sur celui de l’aventure. Mais Gus van Sant ne reproche jamais leur incompétence à ses personnages, au contraire celle-ci est traité avec humour (il est difficile de ne pas voir un clin d’oeil ironique dans l’étoile sur le t-shirt de Casey Affleck) .

Au final, Gerry est un film subtil qui refuse à la fois un point de vue réaliste et les schémas narratifs traditionnels de la fiction, tout en gardant une intrigue minimale afin de ne pas perdre le spectateur. C’est un film qui soulève des questions très théoriques tout en poussant très loin la recherche formelle.


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